« Et du fruit de la connaissance viendra la main vengeresse. »

Elle n'avait jamais abandonné. Jamais. Quinze ans qu'elle luttait contre ses propres démons, qu'elle cherchait la vérité. A une époque, elle n'avait tenue que parce que la vengeance était devenue son moteur, sa raison de lui survivre. Puis les années avaient passé et elle avait réussi à remonter la pente, à vivre réellement, à devenir elle-même aux yeux de tous... Enfin, elle n'avait plus vraiment été totalement elle-même depuis lui, mais elle était presque elle-même et elle parvenait, parfois, à être heureuse à nouveau. Ça lui avait pris du temps, mais elle y était parvenue. Mais elle n'avait jamais abandonné l'idée de les retrouver, les traquer et les vaincre pour le venger. Peu importe combien elle s'éloignait de sa peine, elle n'aurait de réel repos que lorsqu'ils seraient tous mort.

Mais les choses n'étaient pas simples. Les années avaient passé, les démons avaient oublié, le commun des mortels avait même oublié. Difficile de trouver le moindre indice, alors. Déjà à l'époque, cela avait été si dur qu'elle avait tourné en rond pendant des mois. Celui qui avait préparé ce crime avait bien fait son job, ne laissant aucune trace. Si elle n'avait pas été obsédée par l'idée de vengeance, elle n'aurait même peut-être jamais trouvé que c'était l'acte de plusieurs démons, un acharnement qui ne pouvait que dire que l'attaque avait été ciblé et que c'était sa famille qui était ciblée. Peut-être même lui, ce qui voudrait alors dire que c'était elle qui était visée. Alors, maintenant, quinze ans après, difficile de trouver un seul démon se souvenant d'une tuerie de mortels qui soit ciblé. Surtout à Riverdale, ville grouillant de tueurs démoniaques, commandités tous les jours sur des attaques ciblées. Son action du jour en devenait presque un acte désespéré, mais elle ne pouvait pas abandonner, pas maintenant...

Caché dans l'ombre d'une ruelle, Ever attendait patiemment que sa cible approche. Quinze ans qu'elle attendait, dix minutes ne la tueraient pas. Elle l'avait repéré grâce au pendule et ignorait - pour être honnête - totalement de qui il s'agissait. Tout ce qu'elle avait comme indice, c'était qu'il s'agissait d'un Phoenix et elle était équipée en conséquence, le nécessaire se trouvant dans son sac besace. Quand on avait pas de pouvoirs offensifs, il fallait savoir gruger et heureusement pour elle, elle était passée maîtresse dans l'art des potions d'attaques.

Et puis il arriva, enfin, tournant au coin de la rue, perdu dans ses pensées et tentant de se faire discret. Elle eut juste le temps de songer que peu de démons avaient cette attitude corporel que son corps réagit d'instinct - l'instinct d'années de traque - la poussant vers l'avant, dans la lumière tamisé de la rue déserte, le regard vif et le corps tendu. « Hey ! », l'interpella la sorcière. « Il faut qu'on parle. » C'était cash, mais elle n'avait pas le temps pour les gentillesse ou pour les comédies inutiles. Elle voulait qu'il sache immédiatement et rapidement ce qu'elle était et ce qu'elle voulait. Levant la main droite, elle lui révéla deux flacons qu'elle tenait dans la main, contenant deux potions de couleur différente. L'une ne laissait aucun doute quant à son pouvoir mortel sur les êtres de son espèce, l'autre, plus claire, n'était qu'un bloquant, pas dangereux pour sa vie, mais utile pour l'empêcher de fuir. « Je n'ai rien contre toi, je ne suis pas là pour te vaincre. Je veux juste que tu répondes à quelques questions. » Oui, ses potions n'étaient là qu'à titre dissuasif, pour qu'il ne fasse rien contre elle. Elle n'avait aucune intention de le tuer... pour l'instant.

Nêsan avait passé plusieurs heures à remettre de l'ordre dans les rayons de la librairie dans laquelle il avait été embauché à cause d'un individu fortement alcoolisé qui s'était mis en tête de causer le plus de dégâts possible à l'intérieur de l'établissement avant l'arrivée des forces de l'ordre. Il aurait aisément pu l'arrêter s'il l'avait voulu mais se faire remarquer dès ses premiers jours de travail ne faisait pas partie de ses projets si bien qu'il avait préféré faire profil bas.

Une fois qu'il avait eu fini son ouvrage, son patron, reconnaissant, l'avait autorisé à rentrer chez lui. En sortant de la boutique, il avait emprunté une ruelle mal éclairée qui, il l'avait appris la veille, menait à une superette où il pourrait trouver de quoi remplir un peu son frigo. Pressé de retrouver son appartement et un peu perdu dans ses pensées, il n'avait senti la présence d'une tierce personne que trop tard pour lui échapper.

Une inconnue était brusquement entrée dans son champ de vision, avait agité deux petites fioles sous son nez puis avait d'exigé qu'ils aient une discussion. Le jeune homme avait froncé les sourcils, appréciant peu son attitude.

- Drôle de façon d'engager une conversation...

Il avait déjà été confronté à la potion la plus foncée avec laquelle la blonde le menaçait : si elle entrait en contact avec son corps, il serait incapable de se régénérer. Comment avait-elle su qu'il était en partie Phoenix ? Une multitude de questions lui venait à l'esprit mais ce n'était pas pour autant qu'il s'était dégonflé.

- Qui es tu, qui t'envoie et que veux tu savoir ?

Même si son interlocutrice avait affirmé ne pas être là pour le vaincre, il se tenait sur ses gardes. Au moindre mouvement suspect, il ouvrirait une faille sous ses pieds ou se métamorphoserait pour lui sauter au visage...

« Et du fruit de la connaissance viendra la main vengeresse. »

Même si elle ne le montra pas, elle était soulagée que le démon face à elle ne tente rien pour la liquider immédiatement. En signe de bonne fois, elle abaissa la main, gardant quand même les potions fermement dans sa main, prête à toute éventualité. Ne jamais faire confiance à un démon. Un maître mot qui leur avait toujours rendu bien des services jusqu'alors. Sa soeur devait bien être la seule exception à cette règle, mais elle était sa soeur, sa chair et son sang. Il y avait des liens bien plus forts qu'une soif de pouvoir et de sang... Du moins Ever l'espérait... Enfin, c'était une toute autre histoire que celle qui accaparait la sorcière à ce moment précis.

Le démon souligna qu'elle avait une drôle de manière d'engager la conversation. La blondinette haussa les épaules. « Rien de personnel. », assura-t-elle avec toute sa bonne foi. « Mais d'expérience, je sais que les démons et particulièrement ceux de ton espèce, sont peu loquaces si on ne leur force pas un peu la main. » Et elle ne parlait pas dans le vent. Elle traquait les chasseurs de prime à longueur de journée. Dans l'ombre d'une ruelle, comme ce soir, lorsqu'elle chassait les tueurs démoniaques, ou en pleine lumière, quand elle courrait après des tueurs humains, plaque à la ceinture et arme à la main... Bon, parfois, les deux se confondaient un peu, mais c'était le risque quand on luttait contre des criminels sans pitiés. Pouvoir et magie n'avait que trop souvent tendance à se lier, même dans le monde des mortels.

Le démon lui demanda qui elle était et ce qu'elle voulait savoir et pour la première fois depuis longtemps, elle songea qu'à défaut d'avoir des infos sérieuses et importantes, elle aurait peut-être un maigre indice ou une nouvelle piste à suivre. « Mon nom ne t'es d'aucune importance pour le moment et je ne suis à la solde de personne. » Elle sortit de son sac une copie de l'unique coupure de presse qu'elle avait conservé du drame. Sa seule et unique possession concernant l'affaire. Et elle tenait trop à la coupure original pour l'exposer à des démons. Non, les copies, c'était tout ce qu'elle leur montrait, mais c'était suffisant pour servir sa cause et pour donner une image correspondant à ses questions. « Il y a quinze ans, cette maison a explosé. », dit-elle en tendant la photocopie au démon, la tenant devant ses yeux, n'ayant que trop vu de suspects ne même pas y porter attention lorsqu'elle le leur tendait simplement. « Il y avait quelqu'un à l'intérieur. Un garçon qui m'était très cher et toute sa famille. Je suis prête à négocier toutes informations utiles. » Survie du groupe commandité pour tuer, quelques pouvoirs, elle pouvait tout envisager de troquer, pour peu que les réponses apportées la fassent avancer ou lui offre les clés du mystère.

Démon... la blondinette l'avait appelé démon. Apparemment, elle n'était pas aussi bien renseignée que cela sur son compte. Les phœnix, il l'avait constaté à l'époque où il vivait encore avec eux, n'étaient pas foncièrement malfaisants. Leurs méthodes n'étaient souvent pas très catholiques mais en fait, ils offraient simplement leurs services aux plus offrants, qu'il s'agisse d'êtres bénéfiques ou maléfiques.

Nêsan avait choisi de ne pas relever. Inutile de chercher à philosopher avec une individu qui, semblait-il, souhaitait des réponses rapides et précises. Il s'était attendu à ce qu'elle refuse de lui confier son identité mais pas à ce qu'elle lui mette une coupure de presse sous les yeux si bien qu'il n'y avait tout d'abord prêté qu'une attention extrêmement limitée.

- Qu'est ce qui vous fait croire que je pourrais être en possession d'informations sur cette affaire ?

Poussé par la curiosité, il avait décidé de regarder la photo d'un peu plus prêt. C'était alors qu'un vieux souvenir avait refait surface...

Il avait environ sept ans à l'époque. Chez les tueurs à gages, les enfants étaient confrontés à la mort dès leur plus jeune âge afin qu'elle ne les rebute pas lorsqu'ils seraient prêts à se voir confier leurs premiers contrats. Or, il en était presque certain, la maison qui apparaissait sur le morceau de papier que brandissait toujours sa vis à vis était celle où il avait assisté à ses premiers meurtres...

- Désolé, ça ne me dit rien.

S'il mentait, c'était parce qu'il avait une bonne raison de le faire. Il se moquait que ses anciens alliés périssent les uns après les autres mais les règles du clan étaient très strictes et elles s'appliquaient même lorsque l'on n'en faisait plus partie : trahir ses membres, c'était se condamner à mort et plus largement, condamner l'ensemble de ses proches. Et il était tout bonnement hors de question que sa mère reçoive la visite d'indésirables à cause d'une parfaite inconnue...

« Et du fruit de la connaissance viendra la main vengeresse. »

Même si elle avait un peu d'espoir lorsqu'elle posait ses questions, Ever avait assez étudié les Phoenix pour savoir qu'elle n'obtiendrait rien de celui-là. Peu importe pourquoi il se fondait dans la masse et pourquoi il n'était pas avec un clan, il restait un Phoenix et il ne cracherait pas le morceau. Peu importe, elle n'avait pas besoin qu'il parle pour avoir des réponses, elle avait juste besoin qu'il pense. Elle n'avait peut-être pas de pouvoir offensif, mais elle avait la télépathie de son côté.

Il lui demanda tout de même ce qui pouvait lui faire penser qu'il possédait des informations et elle devait avouer que sur ce coup, elle montrerait toute son ignorance et son désespoir, mais tant pis. Désespéré, elle l'était. « Rien », avoua-t-elle donc sans honte. « Mais les Phoenix vivent en groupe et bien que tu sembles... jeune... » Avec les démons tout était relatif, particulièrement l'âge et ses faux semblants... « Je sais que les tiens emmènent leurs gosses très jeune sur-le-champ de bataille. » Elle haussa les épaules, ramenant une mèche blonde derrière son oreille, regardant leurs pieds une seconde avant de le fixer de nouveau. « Si la chance est de mon côté, peut-être que tu sauras quelque-chose. »

Et bien qu'il assure ne rien savoir, Ever su rapidement qu'il mentait, alors que son esprit se focalisait sur la maison en ruine et sur son état AVANT la ruine. Il avait vu la maison avant, il avait vu la famille et dans la tête du Phoenix, Ever vit même le visage apeuré de celui qu'elle avait tant aimé. Il pensa même au fait qu'il s'était agi de ses tous premiers meurtres. Pas ceux qu'il ait commis, mais ceux qu'il avait vu. Alors, c'était bien cela. Des Phoenix avaient commis le meurtre. Ce qui voulait dire que l'acte avait été commandité. Par qui et pourquoi ? Cela restait à découvrir. Au moins, elle était certaine maintenant. « C'est bien elle », dit-elle, plus pour lui que pour elle. « C'était cette maison... Cette famille que tu as vue périr pour ta... première... » Sa voix tremblait et pour se laisser le temps de reprendre un minimum de contenance, Ever rangea sa coupure de presse. « Pourquoi as-tu si peur qu'ils s'en prennent à ta mère ? »

Ça avait beau être un démon, Ever restait une sorcière et un fed. Peu importe combien il pouvait se révéler dangereux. Si sa mère était innocente - aucun démon, aucune personne saine d'esprit ne pouvait craindre autant les représailles contre une personne si celle-ci n'était pas sans défenses, donc innocente - même sans qu'il l'aide, elle se devait de la protéger. Au moins parce que sa simple visite se révélait être la cause du péril.

Jeune, Nêsan l'était. Ce n'était pas parce que son corps était capable de se reconstituer que le temps n'avait aucune influence sur lui. Les Phoenix, même purs, au contraire de certains démons, n'étaient pas non plus immortels. Ils vieillissaient et se fanaient au même titre que les humains ordinaires et ce malgré leurs pouvoirs surnaturels.

Jamais il n'avait été confronté à une télépathe auparavant mais l'idée qu'une personne puisse avoir accès à ses pensées les plus intimes le dérangeait fortement. C'était en partie pour cela que son regard s'était considérablement durci lorsqu'il l'avait relevé vers son interlocutrice, qui venait de lui poser une question pour le moins personnelle, et que le sol s'était légèrement mis à trembler sous ses pieds.

- Ce ne sont pas vos affaires. Sortez de ma tête immédiatement.

Sa mère était la seule personne dont il était réellement proche, sa seule famille connue encore en vie et l'idée qu'elle puisse avoir à nouveau des problèmes à cause de lui ( car elle en avait déjà eu à l'époque où elle l'avait soustrait aux Phoenix ) l'angoissait terriblement, probablement plus que tout le reste.

- Je n'ai jamais rien su de cette famille ni des raisons qui l'a conduit à sa perte. J'étais là en simple spectateur, rien de plus.

Même s'il n'avait pas oublié les potions que la demoiselle transportait sur elle, il s'était permis de faire un pas en arrière.

- Sur ce, vous voudrez bien m'excuser...

Il se doutait bien qu'il ne pourrait pas prendre la poudre d'escampette aussi facilement mais il se disait qu'il ne perdait rien à essayer...  

« Et du fruit de la connaissance viendra la main vengeresse. »

Personne n'aimait être lu et en général, Ever faisait son possible pour ne pas utiliser ses dons télépathiques, mais là, la situation l'exigeait. Il lui fallait un point d'encrage, quelque-chose à s'accrocher pour être sûre qu'elle n'allait pas le pousser pour rien dans ses retranchements. Pourtant, après la secousse – qu'elle se doutait être son œuvre – et une fois certaine qu'il ne tenterait pas de l'attaquer, elle baissa les yeux et se força à bloquer le flot de pensées dès qu'elle eut dans sa tête la réponse à sa question. Il n'avait pas l'intention de lui répondre, elle le savait, mais si elle gardait en tête l'idée de protéger la mère du Phoenix, il fallait qu'elle en sache un maximum sur elle pour pouvoir le faire.

Et bien que cela lui coûtait en énergie, plus encore que d'utiliser ses autres pouvoirs, elle bloqua son accès à la tête du Phoenix et s'empêcha d'entendre ses pensées, alors qu'il continuait de parler. Bien sûr, il ne savait rien de plus, ça aurait été trop beau qu'il sache quoi que ce soit, de toute manière. Et puis même. Maintenant qu'elle avait révélé entendre ses pensées, elle ne risquait plus d'obtenir quoique ce soit de lui. Peut-être qu'elle aurait dû attendre. Il commença à prononcer les politesses pour partir d'ailleurs et elle ne put s'empêcher de faire un pas dans sa direction. « Attend... » Quoi dire ? Quoi faire ? Aucune idée. De toute manière il y avait peu de chance pour qu'il fasse quoique ce soit d'autre hormis fuir ou attaquer. « Je suis désolé. Je sais que ça n'est jamais agréable quand quelqu'un s'immisce dans vos pensées, mais... tu ne m'aurais rien dit et nous le savons tous les deux. Il fallait que je sache ce que tu pouvais savoir, même si ça n'est pas très polie d'aller chercher ainsi les réponses. » Polie ? Envers un démon ? Y a vraiment quelque-chose qui tourne pas rond chez toi, ma belle, se morigéna-t-elle. « Je ne le referais plus, je te le promets. » Promesse toute aussi inutile que veine. Comme si un démon allait croire à la bonne parole d'une sorcière. Elle-même croyait difficilement qu'il ne sache rien de plus. Que ce qu'elle avait déjà vu et entendu dans sa tête. « Et je te promets aussi que je la protégerais... même si tu n'as pas voulu m'aider. »

Trouver qui il était ne serait pas bien compliqué. S'il avait une tête et une allure passe partout dans le paysage du quartier, un démon se fondant dans la masse humaine n'avait rien de banale et quelques personnes dans le monde magique en saurait évidemment plus sur lui. Assez au moins pour qu'elle ait une idée de son identité pour les civils et donc pour sa famille. Surtout si sa mère était effectivement innocente dans toute cette histoire. « Je m'appelle Ever et je te remercie... démon. », ajouta-t-elle, ne sachant pas vraiment comment l'appeler autrement. Il n'en avait sûrement pas conscience, mais malgré lui, il lui avait quand même offert plus d'informations qu'elle n'en avait acquise ses trois dernières années... peut-être même depuis plus longtemps encore. Et s'en était presque ridicule. Et dire qu'elle s'estimait bonne sorcière. Est-ce qu'un travail prenant et d'étranges connaissances, ainsi qu'une vie de sorcière bien remplie peut excuser une si faible avancé en quinze ans ? Elle avait toujours le droit d'y croire.